
Une longue enquête et une immersion dans le « système » agro-industriel breton, ses promoteurs, ses serviteurs et ses victimes. De nombreuses vies brisées. Le livre de Nicolas Legendre, journaliste et auteur de livres, est un événement. Nous avons interrogé ce fils de paysans.
Comment avez-vous travaillé?
« Cette enquête, ce sont deux ans à 90% de mon temps, qui ont suivi cinq années de couverture des sujets agricoles comme correspondant du Monde. Et aussi des sujets pour Bretons en cuisine m’ont permis d’entrer dans des fermes, en système alternatif ou pas . Des syndicalistes me font part de leurs doutes et d’une perte de sens généralisée. Ils ont été le socle de mon enquête du point de vue des sources. »
Et là, vous allez appréhender la violence d’un système?
« Les pontes de l’agrobusiness, souvent discrets, forment une oligarchie qui pratique les rapports de forces et peut exercer des formes de violence: menaces , intimidations, refus de prêts…Chez le paysan de base, cela peut entraîner des chocs moraux, économiques, voire physiques. La réalité des suicides a été longtemps occultée. L’idée d’un progrès par le productivisme est tellement ancrée chez beaucoup de paysans. La FNSEA a mis en place un narratif, selon lequel il n’y a pas d’alternative. Or, c’est eux qui ont torpillé l’alternative. Cette violence d’un système ne s’abat pas sur tout le monde; une minorité a pu s’enrichir. »
Mais vous ne parlez que du sombre?
« Il y a des réalités qui parlent d’elles-mêmes: le taux d’endettement, la non-transmission de fermes, les dégâts dûs aux pesticides, les nitrates…Depuis la sortie du livre, j’ai reçu beaucoup de messages émouvants. Le livre met des mots chez des gens endurcis, habitués à ne pas se plaindre, mais qui ont besoin de parler. De l’autre côté, à une ou deux exceptions près, les tenants du système gardent le silence. »
Propos recueillis par Paul Goupil
« Silence dans les champs », Éditions Arthaud