
« Mais pourquoi toujours des Noirs? » L’écrivain Eric Vuillard centre sa préface à la dernière édition du livre de Louis Guilloux -O.K.,Joe! -sur cette question que Guilloux mit trente ans à formuler. En 1944, lorsque la Bretagne est libérée, l’écrivain est enrôlé par l’armée américaine comme interprète. Il participe aux enquêtes et aux jugements de G.I. accusés de viols ou/et de meurtres chez des paysans bretons.Le doute va s’installer:on ne juge et on ne condamne que des Noirs… Le documentariste rennais Philippe Baron est retourné sur les lieux de cette mémoire longtemps enfouie et a fait parler témoins ou descendants. Il nous dit comment il a construit son 52′, déja diffusé par France 3 Bretagne.
Qu’est-ce qui vous a orienté vers ce travail?
« Quand j’ai découvert le texte de Guilloux, j’ignorais que la justice expéditive des Américains s’exerçait d’abord à l’encontre des Noirs. Ça a été un choc.. J’ai voulu confronter le récit de l’écrivain aux souvenirs des survivants, des témoins, des descendants, après 80 ans de silence. J’ai cherché la trace des lieux (Plumaudan, Guiclan, Montours, Bazouges du Désert..); Ainsi, une descendante très émue m’a parlé de son grand-père tué par un GI qui a été pendu. Elle m’a dit: j’aimerais bien parleravec un de ses descendants… »
Vous avez croisé plusieurs regards?
« Témoins et descendants se sont confiés, avec l’émotion et le soulagement de pouvoir parler. A Plumaudan, la maison du drame est toujours là, avec l’impact de la balle sur la porte. Des lieux ont gardé toute leur force , comme « le champ du Noir », où un soldat fut pendu devant les villageois. Le regard des historiennes appuie ces paroles. Notamment, Mary-Louise Roberts, une Américaine décrit les racines du racisme dans l’armée. Son livre a suscité la colère d’une partie de la société blanche. Ses explications éclairent le texte de Guilloux , dont la lecture des manuscrits montre le lent travail d’affinage, d’épure. Sa langue est assez oralisée: la lecture par Denis Lavant, pendant le festival Etonnants voyageurs , le montre bien. »
Côté Amérique, quelles réactions?
« Plusieurs Américains m’ont félicité, malgré les blocages raciaux, toujours forts. Mais égratigner le mythe du GI Libérateur est encore mal vu. »
Propos recueillis par Paul Goupil