Gilets Jaunes : trois rédacteurs en chef régionaux racontent
Lancé en novembre dernier, le mouvement des Gilets Jaunes a surpris le monde politique et médiatique. Au niveau national, de nombreux médias ont reconnu avoir été surpris par la forme du mouvement et ont convenu l’avoir parfois analysé de manière trop caricaturale. A l’échelle régionale, la couverture a souvent été différente. Trois rédacteurs en chef, en radio, presse écrite et télévision, en témoignent.
Laëtitia Cherbonnel, rédactrice en chef de France Bleu Armorique : « Un contexte atypique qui nous sort de notre zone de confort »
manifestation gilets jaunes rennes
« Je n’ai pas pressenti l’ampleur et la durée de la contestation. Ce qui m’a frappée au départ, c’est plutôt la couverture médiatique nationale : les journalistes parisiens découvraient l’ampleur des difficultés du quotidien. Pour nous, ce n’était ni une surprise, ni une révélation. Nous couvrons régulièrement les difficultés des travailleurs pauvres, des femmes seules, qui ont des difficultés à boucler leurs fins de mois. C’est notre quotidien. Alors que, vu de Paris, c’était une nouveauté. Nous, ce qu’on a donné à entendre, c’est ce que l’on observe depuis très longtemps, en centre Bretagne, dans la périphérie des grandes villes, quand le travail ne permet pas d’avoir une sécurité. C’est notre quotidien de localier.
En revanche, contrairement à d’autres, il n’y pas eu de réactions violentes à notre égard, Nous n’avons pas été agressés ni pris à parti. Mais la première réaction a souvent été de la défiance. Une collègue m’a racontée être arrivée sur un rond-point, où on lui a dit : « pas de journaliste ici ! » Quand ils ont compris qu’elle travaillait à France Bleu Armorique, ça s’est apaisé. Les manifestants faisaient la différence entre les localiers et les autres. L’antériorité de la couverture médiatique a été notre laisser-passer sur les ronds-points.
Que deviendra le mouvement demain ? Il y a un terreau de contestation : je pense que nous devons être vigilants sur la manière dont on va le couvrir. On doit toujours se poser la question : quand dix Gilets jaunes sont sur un rond-point, est-ce un sujet ? Est-il équivalent à dix postiers sur un rond-point ? La couverture doit toujours être ramenée à l’aune de ce que l’on fait habituellement. Nous avons été confrontés aussi à la question de la représentativité : quand il n’y a pas de porte-parole, à qui doit-on donner la parole ? D’habitude, les conflits sont binaires : un délégué syndical, un patron. Mais là, il faut s’adapter. C’est un contexte atypique, dérangeant, complexe, qui nous sort de notre zone de confort. Nous devons nous préparer à traiter cette nouvelle forme de contestation. Il n’y a pas de recette miracle. Mais il faut s’adapter, car sinon, nous allons nous retrouver au bord de la route : on ne fera pas notre job, on sera définitivement écartés de la boucle de l’information et nous laisserons le champ libre à la communication des réseaux sociaux. Il faut continuer à se poser des questions, ça n’en restera pas là. «
François-Xavier Lefranc, rédacteur en chef à Ouest-France : « Un mouvement qui vient de loin »
« Nous avions perçu des signaux d’alerte sur la grogne et la colère qui montaient dans certains territoires, notamment tous ceux qui doivent faire des kilomètres en voiture pour aller travailler. Ce qui nous a surpris, c’est la forme du mouvement et sa cristallisation. Nous avons eu d’abord un temps d’écoute dans les pages locales et départementales, avec de la parole, du vécu. La résonance était forte dans le monde rural, comme l’a montré notre page spéciale sur le Centre Bretagne. Et les élus ruraux alertaient depuis longtemps ! En fait, on avait cette réalité devant les yeux, sans penser que ça exploserait! Nous avons invité Jérôme Fourquet de l’IFOP, qui nous a présenté les cartes du vote protestataire -qui n’est pas que rural- le poids de l’abstention, la coupure avec les décideurs. Autant de racines de ce mouvement qui jaillissait.
Recueillir les paroles, le ressenti, en évitant les slogans, les extrémismes -il y en a eu- montrer la réalité diverse des territoires: cette exigence d’écoute s’impose à nous. On a fait du direct sur le net, nos reporters sont allés les samedis à Paris, au maximum de la tension. Malgré nos craintes, nous avons le sentiment d’avoir rendu compte sans nous laisser déborder. Plusieurs confrères ont été verbalement agressés, notamment en Vendée. C’était marginal mais inacceptable, et nous l’avons dit. Le défi maintenant, c’est de rester à l’écoute des gens, d’expliquer et de relayer vers les décideurs. La démocratie a été secouée. «
Eric Lamotte, rédacteur en chef de France 3 Bretagne: « A certains moments, faire son métier était risqué »
« Dès le samedi 17 novembre , nous avons décidé d’apporter du renfort, aux quatre équipes du week-end en Bretagne. Dès le début, nous avons voulu suivre le mouvement dans sa diversité géographique et d’ambiance, en anticipant des sujets liés aux revendications et aux modes d’action. Nous n’avions pas prévu la casse, comme cela s’est produit du côté de Quimper. Les équipes ont beaucoup donné, en temps et en engagement. Des sujets ont retenu l’attention, comme l’interview de Jacline Mouraud, figure morbihannaise connue pour ses vidéos, ou les reportages à Langueux, l’un des points de fixation du mouvement. Au quatrième week-end, on a senti que cela pouvait dégénérer, que la presse était ciblée. Trois gardes du corps ont été recrutés pour Brest, St Brieuc et Rennes, chargés de surveiller et, s’il le fallait, exfiltrer les collègues. L’une de nos journalistes a pris un caillou sur le front, dans une manifestation, non pas de gilets jaunes mais de lycéens. Les équipes avaient cette consigne: « Vous ne jouez pas avec votre vie ».
Dans nos reportages, nous avons cherché à restituer la parole en refusant la diffamation et l’insulte, et sans nous faire les vecteurs du mouvement. Le choix des citations à la télé est crucial, car notre temps est compté et l’impact fort. Nous nous sommes interrogés: comment équilibrer les discours? Prendre du recul, éclairer, s’impose. Ce qui n’est pas toujours évident. Ainsi, la préfète ne voulait pas parler, il fallait trouver une personne référente dans les pouvoirs publics. Sociologues et politologues été également interrogés pour une mise en perspective. Au total, nous sommes fiers du travail accompli et de l’audience, montée à 23% le 14 décembre. Dommage que ce qui a été bizarrement qualifié d' »erreur humaine » (l’effacement d’une pancarte « Macron dégage! » dans une émission nationale) ait quelque peu terni tout ce travail collectif. »
Propos recueillis par Paul Goupil et Anna Quéré
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