Hier, journalistes – Ils ont quitté la profession
Trois questions à Jean-Marie Charon : ”Notre enquête met au jour un désenchantement”
Pour leur enquête qui sort le 23 septembre aux Editions Entremises, Jean-Marie Charon, président des Entretiens de l’Information et chercheur au centre d’études des mouvements sociaux à l’EHESS, et Adénora Pigeolat, diplômée en psychologie, ont écouté une cinquantaine de journalistes qui ont quitté la profession. Désenchantement et usure reviennent souvent dans ces témoignages qui mettent au jour “la part d’ombre” de la mutation des médias.
Jean-Marie Charon répond aux questions du Club de la presse.
Comment avez-vous mené cette enquête avec Adenora Pigeolat ?
– Au départ, il y a un chiffre : 15 ans. C’est la durée moyenne d’une carrière de journalistes, selon une étude publiée il y a quelques années par Christine Leteintutier. Lors des confinements, nous avons échangé sur Twitter avec des journalistes disant leur envie de quitter le métier ou d’anciens journalistes expliquant pourquoi ils avaient quitté la profession. Nous leur avons demandé si elles seraient prêtes à témoigner sur le sujet. Nous avons reçu plusieurs dizaines de réponses positives. C’était suffisant pour nous convaincre que ce devait être notre enquête pour l’année. 55 anciens journalistes ou personnes en train de quitter la profession ont constitué la base du livre, que nous avons tiré de l’enquête : « Hier journalistes – Ils ont quitté la profession ».
Problème de méthode : il y avait le confinement. Comment faire, alors que le face à face en réel était impossible ? Nous avons essayé plusieurs approches : échanges téléphoniques, mails, interviews par Zoom. Ce sera en fait une majorité d’échanges de mails, souvent très approfondis et précis, quelques Zoom, et de rares face à face lorsque la période le permettait. Dans ces entretiens nous revenions sur les motivations de départ, la formation, le parcours, les fonctions occupées, les difficultés rencontrées, les motifs pour quitter, les débouchés envisagés et trouvés.
L’idée aura aussi été de s’appuyer sur l’interactivité : plusieurs publications d’articles sur observatoiredesmedias.com, puis alternatives-economiques.fr et La revue des médias, avec discussion sur Twitter à propos de nos résultats. C’est ce qui devait nous convaincre de faire deux pas de côté.
Une enquête auprès de personnes au sein des entreprises de presse : syndicalistes, associatifs, responsables de rédactions, responsables de ressources humaines. Et une autre enquête sur la question du burn-out auprès de médecins du travail, de psychologues et psychiatres (Adénora a fait une partie de son cursus en psycho) et de journalistes et anciens journalistes ayant souffert de ce trauma. Le livre permet de restituer la richesse des témoignages, tout en posant les termes d’un problème mal perçu.
Ce livre n’est pas une conclusion. Il s’agit plutôt d’un point de départ pour des échanges et une réflexion, qui méritent de se prolonger dans les entreprises, les lieux de formation, les syndicats, les associations de journalistes.
Deux thèmes reviennent fortement: le désenchantement et l’usure…
– Il y a trois profils majoritaires parmi nos interviewés : les premiers sont les « jeunes », moins de 35 ans ; les quadragénaires ; et moins nombreux, les plus de cinquante ans. Ce sont toujours les femmes qui sont les plus nombreuses, surtout parmi les quadras.
Ceux qui évoquent le plus le désenchantement sont les plus jeunes. C’est chez eux que s’exprime avec le plus de force et de virulence, la perte de sens, pour un « métier passion ». C’est chez eux que le hiatus entre métier rêvé et métier réel est posé. La rupture – et l’usure – est surtout manifestée chez les femmes quadras. Au-delà de la perte de sens, il y a l’intensification du travail, parfois la précarité, les discriminations (rémunérations, avancement, activités), voire le
harcèlement, le manque de reconnaissance. D’où de très nombreux cas de burn-out et puis toutes ces situations où il faut arbitrer entre vie personnelle et vie professionnelle. Pèse aussi un contexte où les sources, le public, la société expriment chaque jour défiance, voire hostilité à l’égard des journalistes.
Au fond, vous décrivez le “côté noir” de la mutation de médias ?
– Oui pour avoir beaucoup travaillé sur la transformation des rédactions et du journalisme, notamment avec le numérique, j’ai eu le sentiment de me heurter au côté sombre de cette mutation que connaissent les médias depuis plusieurs décennies. D’autant que parmi ces « partants » figurent plusieurs personnes qui ont été des précurseurs et des initiateurs du journalisme web. Le volet de l’enquête auprès des responsables de rédactions et des RH a permis d’identifier deux attitudes face à ces départs prématurés de la profession. Il y a chez certains du déni. Chaque cas serait un peu anecdotique, « isolé ». Et puis il y a ceux qui reconnaissent qu’il faut traiter la question des jeunes souvent mal
employés, précarisés, trop peu payés au point de ne pouvoir en vivre. Qu’il faut aussi trouver des réponses pour les quarantenaires qui veulent pouvoir élever leurs enfants, avoir une vie de famille et qui entendent être mieux reconnus.
Certains tentent des réponses dans les organisations, rendues parfois timides par un contexte économique défavorable. Une chose est sûre, les réponses ne sont pas techniques, mais bien organisationnelles, éditoriales, au niveau des personnes et de l’attention portée à leur activité, à leur vécu.
Recueilli par Paul Goupil
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